Kim
Chouïski sauta pour la première fois du train à onze ans.
Cétait en Russie, au début de lautomne, et le vent faisait
voler les feuilles mortes et les papiers gras le long du quai de la gare de
Saltykov. Dans le tambour, qui sentait le tabac, lair rance était
imprégné dhaleines puant la bière et de relents de
transpiration dhommes moroses, mal rasés. À lépoque, les
portières souvraient vers lintérieur et il nétait pas
encore question de contrôle automatique. Kim portait un pantalon couleur
de ciel, confectionné par sa mère pour son anniversaire. En
avril, il en avait coincé la jambe droite dans la chaîne de son vélo,
en ville, et elle avait été recousue à la machine avec du
fil gris. Kim tenait son maillot délavé de marin, trop large, de
lun de ses cousins, élève officier à lécole
Nakhimov. Sa casquette en cuir râpée laissait pointer une
mèche rebelle châtain clair.
Debout
dans le cadre de la portière ouverte, Kim regardait le quai qui fondait
sur lui, les grands sapins dans lesquels le soleil brillait encore comme en
plein été, et il sentait sur sa nuque la curiosité obtuse
des adultes.
Depuis
longtemps, il simaginait ce premier pas, ce saut dans le vide. Pendant
plusieurs nuits au cours de lété, à la datcha ces nuits
remplies du bourdonnement des moustiques, du chant des grenouilles, de la
clarté lunaire qui sécoule avec la force dune cascade à
travers les basses branches poilues des sapins , il avait à demi
rêvé et à moitié vu en songe la manière dont
il allait sauter : prenant position, penché en arrière et en
biais, à la portière, il se jetterait ensuite crânement sur
le quai rendu bleu marine par une averse, et, après quelques
enjambées nonchalantes sur deux ou trois mètres, il
simmobiliserait sous les regards admiratifs qui le suivaient depuis les
fenêtres mouvantes.
Il
avait observé plus dune fois, avec envie et le cœur battant, des
gars de banlieue aux pommettes larges, des soldats en permission ou des types
de lusine de ciment, à lallure empotée, donner limpression de
tomber du tambour étouffant du train de banlieue lancé à
pleine vitesse. Les élèves officiers de lécole de lair,
des costauds vêtus de vareuses repassées aux plis parfaits, sautaient,
eux, par groupes.
Mais
le meilleur était sans conteste un célèbre joueur de
football qui venait presque quotidiennement rendre visite à la fille
dun général, poitrine haute et cheveux dorés, qui
habitait près de létang, dans un pavillon de conte de
fées, en brique rose, entouré de gigantesques roses
trémières et de pivoines. Le footballeur se décollait de
la paroi couverte de graffitis obscènes et se penchait dehors. Le vent
passait sa paume sur ses cheveux et semblait vouloir déchirer le large col
de son maillot du Dynamo, en dégageant son cou puissant et sa poitrine
bronzée. Il sautait lestement dès le début du quai, alors
que la rame roulait encore très vite et que les freins grinçaient
à peine. Lespace dun instant, il demeurait comme suspendu dans lair,
une papyrossa entre les dents, les mains dans les poches de son large pantalon
de toile, puis il se posait en douceur, amortissant le choc dune simple
flexion de ses jambes puissantes et arquées, sans avancer dun pas,
tournait le dos au train, retirait la Bielomor [1]
du coin de sa bouche, crachait pour faire chic et disparaissait entre les
buissons de sureau poussiéreux, à lendroit où un trou
souvrait dans la palissade qui entourait la gare.
Cette
première fois, Kim regarda trop longtemps le quai qui semblait flou
à cause de la vitesse.
Alors,
mec, tu fais dans ton froc ? fit une voix rauque derrière lui.
Kim, sans écouter un mot de plus, fit un
pas dans le vide qui volait vers lui, et le monde, à lenvers, le frappa
par le haut et le côté, puis le traîna sur le ciel
râpeux de lasphalte.
Dhabitude,
les écorchures et les meurtrissures de Kim guérissaient comme
celles dun chat : une semaine passait et une nouvelle peau rose brillait
déjà sous la croûte arrachée. Cette fois-là,
ses paumes, ses coudes et son dos mirent un mois entier à se remettre.
Sa mère lui faisait des compresses de camomille, passait ses plaies
à la pulpe daloès et les enduisait de pommade de calendula.
À son grand étonnement, elle ne le grondait pas.
Lété
suivant, à peine sétaient-ils installés à la
datcha, que Kim, encore tout blanc après une année en ville, prit
une nouvelle fois le train de Moscou, en resquillant, et sentraîna
à sauter à chaque gare. À larrivée dans la
capitale, ses genoux tremblaient et un arc-en-ciel vivant flamboyait dans ses
yeux baignés de larmes.
À
quatorze ans, à la suite dun pari, il sauta les yeux bandés
à loreille , expliqua-t-il aux curieux. Son meilleur ami,
Boris Zavadski, perdit et lui apporta le jour même son bien le plus
précieux : une paire de jumelles Zeiss, butin de guerre quil
tenait de son père.
Kim
et sa mère habitaient dans le vieux quartier de Zamoskvoretchie une
pièce qui faisait angle dans un ancien hôtel particulier. Trois
colonnes ioniques ornaient la façade de la maison, qui croûlait de
vieillesse. Lenseigne dune agence pour lemploi des invalides était
accrochée à la porte dentrée. Des manchots vêtus
dénormes manteaux râpés, de capotes sans épaulettes
ou de vestes ouatinées usées fumaient dans le vestibule en jetant
des regards sombres sur une Diane, jadis en marbre, peinte dune couleur de
bronze terni et tenant un débris de lance à la main.
En
roulant vers la réception sur un plan incliné en bois, les
culs-de-jatte renversaient la tête en arrière pour regarder le
plafond noirci où des anges dodus, criblés de traces de balles
qui leur avaient donné la petite vérole, regardaient tristement
le sol à travers le voile de crasse brunâtre qui obstruait leurs
yeux. Une pancarte décolorée était suspendue au-dessus de la
porte latérale qui donnait sur lappartement communautaire. On y
lisait : Appliquons dans la vie le code moral des bâtisseurs
du communisme ! Dessous, quelquun avait ajouté à la
main, en caractères tordus, une inscription indiquant quon était
prié de sessuyer les pieds.
Les
ornements des anciennes pièces étaient divisés par les
cloisons des chambres, ces dernières ayant été
découpées après la révolution en volumes
géométriques déroutants. Les Chouïski avaient droit
à la moitié dune cheminée, à la moitié dun
miroir et, au plafond, aux jambes dune déesse qui volait vers la
chambre voisine. Cétaient de petites jambes, enveloppées dans
les plis dune robe dalbâtre et qui senvolaient également chez
les voisins. Quant aux lattes du parquet qui couvrait le sol du couloir et des
pièces, elles étaient enfoncées comme les touches dun
piano à queue délabré. Les deux fenêtres de la
chambre donnaient sur la cour, où fleurissaient début juin des
lilas urbains anémiés, alors quen septembre des dahlias ensanglantés
inclinaient lourdement leurs têtes sous les draps et les chemises qui
voletaient sur les cordes à linge.
Couché
sur un lit étroit et désormais trop court, Kim observait à
travers les branches des peupliers, dans ses jumelles Zeiss, les fenêtres
de limmeuble den face. Des abat-jour, tous identiques, roux ou jaune citron,
y nageaient comme des méduses et, devant les vitres, des chats dormaient
parmi des forêts de cactus et dhortensias.
Par
lencadrement dune fenêtre du troisième, on voyait un vieillard,
ratatiné comme un Chinois, immobile tel un bouddha. À
côté, au même étage, une jeune femme en blouse
blanche apparaissait le soir, sur les coups de dix heures. Elle se
déshabillait toujours avec la même fatigue et les mêmes
mouvements mécaniques, en jetant dans la cour un regard
indifférent et vide. La blouse disparaissait dabord puis, tout en
bâillant, elle défaisait lentement son chemisier, un bouton
après lautre. Avant de dégrafer son soutien-gorge, elle levait
les coudes révélant ses aisselles sombres pour retirer les
épingles de son lourd chignon et faisait retomber ses cheveux dun
brusque mouvement de tête. Après quoi, elle portait les mains
à son dos Kim ressentait alors de la chaleur et une certaine gêne
sous la couverture à carreaux qui le grattait et elle arrachait le
soutien-gorge de sa généreuse poitrine, comme on pèle une
orange.
Lespace
dun instant, elle se ranimait et il semblait à Kim quelle le fixait
à travers lombre mobile du peuplier. Mais le regard sestompait et le visage
séteignait, bientôt suivi par la lumière de sa
fenêtre.
Seul
le vieux Chinois demeurait assis à la sienne, loreille tournée
vers lextérieur, comme sil écoutait le ressac nocturne de la
rue.
Un
soir de printemps, les jumelles Zeiss et la jeune infirmière qui
bâillait et sétirait provoquèrent chez Kim une
étrange convulsion. Heureusement, sa mère était absente et
il resta là, gisant sous la couverture, humilié et
bouleversé. Son corps, ou du moins une partie de son corps,
possédait une autonomie effrayante.
Lorsquil
porta de nouveau les jumelles à ses yeux, un homme tondu aux
épaules larges, en maillot bleu, se tenait à la fenêtre de
linfirmière et allumait une cigarette. Lhomme propulsa une
bouffée de fumée à lextérieur, regarda dans la
cour, dit quelque chose en se tournant à demi vers lintérieur,
puis tira les rideaux, dun geste brusque.
Seule
la fenêtre du vieillard resta allumée, comme toujours,
jusquà minuit. Le vieux crapaud restait assis dans la même pose,
immobile, les yeux vitreux, souriant. Lidée quil était
peut-être mort traversa Kim.
Sa
mère lui avait dit un jour quelle le connaissait. Il sappelait
Matveï et, quand il était encore un jeune garçon, il avait
servi chez son grand-père, comme chauffeur de poêles ou comme
gardien.
À
cette époque lointaine, lhôtel particulier appartenait
entièrement à leur famille.
Lhiver
de lannée où il fit son service militaire, Kim parvint à
maîtriser la technique de saut sur le quai verglacé. Il
atterrissait doucement, sur ses jambes repliées, en écartant bien
les bras. Dès que ses légères chaussures
dété touchaient la glace, il faisait un brusque demi-tour
à cent quatre-vingts degrés et glissait à reculons
parallèlement au train qui freinait. Cétait déjà
dun autre niveau, du grand style salué par les applaudissements du
public, à lexception, bien sûr, de la milice de la gare. Ses
chaussures à la semelle fine glissaient comme des patins Le danger
résidait dans le fait que, jusquà son atterrissage, Kim ignorait
si la fine couche de glace nétait pas rongée par le sel,
ébréchée par les pelles ou sous les tourbillons de
poussière de neige saupoudrée de sable de rivière roux.
Plus
dune fois, Kim sétait retrouvé projeté sur le
côté, à la renverse ; plus dune fois, il avait
tournoyé sur une jambe, les bras écartés, comme un clown
exécutant une danse dun folklore inconnu, pendant quil freinait avec
lautre tout en essayant de garder léquilibre. Un jour de mars, en
rentrant avec Boris de Lianozovo, où ils gagnaient quelques sous en
déchargeant des wagons, il sauta sur la glace un peu fondue, granuleuse,
et perdit léquilibre dune manière si brusque, si brutale, quil
saccrocha au col de renard dune femme qui passait dun pas rapide sous les
gros flocons de neige tiède. En riant, elle le frappa assez fort sur la
main, mais le retint dans sa chute. Il lavait enlacée par inertie, mais
il resta dans ses bras jusquà la fin de lété.
Maïa
habitait aux environs de Moscou et lon accédait à son village de
datchas, assoupi, où la neige sincrustait pratiquement jusquà
la mi-avril, par une gare de chemin de fer calme et proprette. Elle
était mariée, mais son mari avait été
condamné pour diffusion dauteurs interdits, et il était en
prison depuis plus de quatre ans. Après sa libération, il avait
lintention de partir soit pour les Etats-Unis, soit pour Israël.
Elle
était parvenue à sauver de la confiscation la plupart des livres
de son époux. A la suite dun coup de fil de Moscou, elle avait eu le
temps de les transporter dans la datcha inoccupée des voisins. Pendant
ces quelques mois, si vite passés, Kim lut tout ce qui nexistait pas
à la surface de la vie. Il savait déjà que une Erica
prenait quatre copies [2],
que la lecture de 1984 était
punie demprisonnement, quil y avait une clandestinité
littéraire, mais il nimaginait pas que cette vie clandestine pût
se nicher dans le grenier spacieux dune datcha, encombré dun
canapé défoncé, de piles de vieux magazines, de chaises
bancales et de bocaux de verre vides, soigneusement protégés par une vieille couverture et des journaux,
qui attendaient la Journée de Fabrication des Confitures
Plus tard, il apprit avec étonnement que
son ami Boris connaissait la Quatrième
prose de Mandelstam, par cœur de surcroît, ainsi quElena Gouro,
Platonov, Pilniak, lécrivain émigré toqué de
petites filles, auteur dun guide populaire des routes dAmérique, et
même Vivekânanda.
Au
cours de cet été lointain, ils se mirent à parler un
langage étrange, fait de morceaux de citations. Il suffisait que lun
deux vît une babouchka, sous le pont, près de la gare de
Biélorussie, vendre dénormes brassées de lilas opulents,
fraîchement cueillis, pour que lautre démarrât au quart de
tour : Lartiste nous a dépeint des lilas la profonde
syncope Et dès que lon mentionnait un rasoir, il tirait de sa
mémoire les lames Gillette , ces petits mots soigneux du
diable [3]
Ce
fut une année de transformations. De gamin maladroit, aux pommettes
saillantes, son ami Boris devint un jeune homme timide aux joues roses qui
souffrait daccès de rêverie dont la force le faisait
littéralement tomber hors de la réalité. Lorsquon
lappelait ou quon lui tapait sur lépaule, il ne sortait pas de son
autre monde mais senfonçait dans celui-ci, regardait autour de lui dun
œil hagard en battant des cils comme une jeune fille et marmonnait une
bribe de phrase tout à fait hors de propos.
De
Piter [4],
Genia Smokov, ballettomane et obsédé dopéra, venait voir
les Zavadski. Il avait sept ans de plus que Boris et avait déjà
publié, dans une maison déditions de province, une fine brochure
imprimée sur du papier gris, presque de lémeri, consacrée
à Maria Callas, Donizetti et Bellini. Sous son influence, la passion de
lopéra sajouta à leur amour des lettres. La mère de Kim
leur donnait des cours ditalien deux fois par semaine. Et à
lécole, ils nageaient tous deux dans langlais, la brasse et le crawl.
Cest à cette époque que Kim, après avoir souffert
à la lecture dun volume mité de Joyce, trouvé par hasard
dans un magasin doccasions, à Sretenka, donna à Boris le surnom
de Kinch.
Come up, Kinch. Come up, you fearful jesuit
On
va à pied jusquà Sivtsev ?
Che dici ?
Et
Kim ajoutait, en ouvrant en éventail les pages dun livret
fripé :
Regnava nel silenzio alta la notte e bruna mais
cest Frank Sinatra ! Le début de Strangers in the Night ! Regnava
nel silenzio
Août
fut pluvieux, dégoulinant deau. Lorsquil revenait en ville, de chez
Maïa, et quil sautait sur le quai de la gare de Biélorussie, Kim
manquait souvent de se rompre le cou. Pas à cause de ses semelles
glissantes sur lasphalte mouillé, ni parce que les mégots, les
pages de journaux et autres déchets détrempés
étaient plus dangereux que le verglas de mars, mais à cause de
cette faiblesse jubilante qui érodait son corps. Cétait sa
troisième année dentraînement à la lutte sportive
dans un sous-sol mal éclairé, chaussée de Leningrad, et la
seule fois où la vitesse et la faiblesse accumulées le firent
tomber, il sen tira dune habile roulade, comme le lui avait appris le
maître de sport Gamboulaïev, tout en protégeant son lourd
Zenit chromé de sa main écartée : cétait son
premier appareil photo et il ne sen séparait plus.
Lors
dune assemblée générale tenue dans la cuisine, parmi les
borborygmes émis par des casseroles de toutes tailles, les colocataires
de lappartement communautaire acceptèrent de lui céder, en guise
de labo, un cagibi encombré situé au bout du couloir
lépreux : une pièce aveugle de quatre mètres carrés,
traversée par un orgue de tuyaux humides, gargouillants et
glougloutants, doù se détachaient et pendaient des croûtes
de peinture.
Sa
première photo représentait le Kremlin. Un Kremlin noyé,
dilué dans les flots. Son reflet. La journée était
ensoleillée, avec des filaments de nuages. Lobjectif grand angle du Zenit
saisit le Kremlin dans sa totalité, dune tour à lautre, et
aussi le clocher dIvan le Grand, la cathédrale de la Dormition, des
voitures sur le quai, des enfants et des retraités qui promenaient leurs
chiens sous la haute muraille, ainsi que le reflet, allongé en biais
dans la rivière, des tours et des toits, des coupoles et des croix, des
créneaux et des nuages au-dessus des bulbes dorés.
En
développant la photo, Kim garda seulement le bas, ce reflet du Kremlin
dans les rides de la rivière, quil agrandit. En plaçant le
cliché sous verre, à la place dun portrait de groupe de
comédiens qui jouaient une quelconque pièce de Tchekhov, il le
mit à lenvers : les croix et les coupoles pointant vers le haut.
Le
Kremlin noyé, fantôme de lhistoire de la patrie, arracha à
sa mère une exclamation pathétique, ce qui ne lui ressemblait
guère. Au sujet de la photo sépia du groupe, elle dit, en se
détournant pour se moucher bruyamment dans un mouchoir à carreaux :
Cétait près dAloupka, en Crimée. La famille de ton
grand-père, les Chouïski. Ils possédaient un domaine,
là-bas Et, rangeant le mouchoir dans la poche de son tablier,
elle conclut : Tchekhov ! Mon Dieu ! Vraiment,
Tchekhov ! Un spectacle idiot que plus personne ne joue
Le
père de Kim était vivant. Il habitait un gratte-ciel stalinien,
stalagmitique, bâti sur le quai qui faisait face au Kremlin, et il se
déplaçait en limousine noire avec chauffeur. Ils ne
sétaient jamais vus. Il écrivait des pièces de théâtre.
Mais une seule de ses œuvres, Les
Étoiles de midi, quil avait écrite avant la guerre,
était jouée dans la capitale comme en province.
Sa
mère sefforçait de persuader Kim que son prénom
nétait pas labréviation russe dInternationale communiste de la
Jeunesse, mais avait été choisi par son père, Innokenti
Chouïski, en raison de sa passion pour Kipling.
Et
pour sa profession principale, ajoutait-elle, sarcastique.
Mais
ce nétait plus de son plein gré que Kim sautait des
véhicules tout-terrain de larmée, lancés à pleine
vitesse : Kalachnikov dans la main droite, pans de capote retournés, barda et pelle de
sapeur dans le dos ; sous ses pieds, la grasse boue sibérienne, les
herbes sauvages piétinées ou bien la neige bleuâtre.
Il
sautait également en parachute et, au bout de la deuxième semaine
dentraînement, à la suite dun pari avec son inséparable
copain Zavadski Boris faisait larmée, lui aussi , il réussit
à déboutonner sa combinaison et à écarter les
sangles croisées qui lenserraient : un jet élastique se
pulvérisa instantanément, arrosant le visage de larroseur.
Les
trente-sept mois de service se traînèrent indéfiniment.
Pendant le deuxième été quil passa là-bas, Kim
parvint à se la couler douce en travaillant comme photographe de la
garnison au club de larmée. Les revues sur limmense place darmes, les
exercices de tir, le nettoyage des armes, les exercices physiques, la
relève de la garde, lorchestre du régiment et le nettoyage de la
caserne : tout cela selon le capitaine Roudenko, un petit Ukrainien
roux, profondément bouleversé par sa réussite, car il
avait à peine trente ans devait être véritablement
transfiguré par les photos en noir et blanc pour évoquer notre
drapeau rouge . On vous procurera de la pellicule en couleur pour
faire de belles photos en noir et blanc , ajoutait-il.
Sur
les photos de lépoque, qui sentaient le vilain simili cuir et leau de
toilette bon marché, les boucles et les boutons briqués, les
bottes et les mentons soigneusement lustrés des conscrits de
deuxième année, appelés faisans , et des
anciens brillaient à vous éblouir. Le menu fretin de
première année navait pas sa place sur les photos : il
avait lair débraillé et pitoyable. En règle
générale, les hommes de troupe, même pris dans les
conditions optimales définies par le manuel de Kozyrev,
sous les rayons obliques du soleil couchant, semblaient toujours de cent watts
plus ternes que les sergents et les officiers. Quant aux engagés, ils
avaient tous lair endormi et féroce à la fois, le service ne
laissait plus sur eux son empreinte grasse.
Sur
les clichés de Kim, lorchestre du régiment, une bande dalcoolos
qui, avec lautorisation de létat-major, jouait tous les samedis au
dancing de la ville, se reflétait entièrement sur lembouchure et
les côtés de lhélicon : des nains et des girafes, en
casquette, sur le fond carré des fenêtres de la caserne. Sur les
murs de la cave où Kim faisait ses développements, dans le club
de la garnison, étaient punaisées des photos de tilleuls aux têtes
baissées, à la file, comme chez Pasternak, aspergés de
peinture verte à la veille de larrivée à Moscou dune
mission dinspection, menée par un général, et qui
restèrent en vie toute une semaine après son départ. Il y
avait aussi la tête contractée par un objectif de dix-neuf
millimètres de la jument de la garnison, Aristo, de son vrai nom Petite
Étoile, qui tirait vers le poste de garde une charrette de caisses
vides. Il y avait le Paternel le colonel Razgoudine aux cheveux gris
coiffés en brosse, léger comme une jeune fille malgré sa
taille gigantesque à qui lon donnait du feu avec un briquet, lors de
lentraînement au tir, la nuit, les mains protégeant la flamme. Le
club de photo ne disposant daucun trépied, Kim coinçait son
appareil photo, un Praktika est-allemand, entre deux boîtes de cartouches
vides et prenait des photos dont le temps de pose allait de trente secondes
à deux minutes, en chassant doucement les moustiques, pour ne pas
ébranler sa construction improvisée.
Sur
ces clichés, le ciel nocturne était cinglé
déventails lumineux dessinés par la trajectoire des balles de
fusils-mitrailleurs ; sur lun dentre eux, le Paternel, un peu flou parce
quil avait bougé, debout à côté dune Jeep,
souriait à Sarymova, la chef du service médical ; ses bottes
en similicuir, sous les éclairs des balles, brillaient dans les hautes
herbes, près dune bande de sable froid, gros grain, parsemée de
douilles. Le Paternel sen octroya un cliché, quil plaça dans un
sous-verre, sur le bureau de son QG, près du téléphone. Le
lieutenant Sarymova, une Tatare au visage sombre et aux lèvres pleines,
soignait beaucoup de ses patients grâce à une méthode peu
orthodoxe, cest pourquoi le privilège de se retrouver à
linfirmerie signifiait plus que de tirer au flanc.
Kim
recevait la pellicule par rouleaux de trente mètres et ne
lépargnait guère. Le Praktika captait avec précision les
scènes de la vie quotidienne, séditieuses pour les journaux
muraux de la garnison et pour le petit journal local, mais inestimables pour
les archives de son opérateur : le tambour du régiment sur
lequel les musiciens désœuvrés tapaient le carton à
six mains ; les quarts en émail remplis dalcool clandestin,
à soixante degrés, avec lesquels on trinque au-dessus dun tas de
mégots amoncelés dans une boîte de cartouches posée
sur les bajoues de Khrouchtchev ; ou bien la caserne pendant la sieste,
après le déjeuner : des rangées de lits
superposés sur lesquels, dans les rayons poussiéreux du soleil
dété dardant par les fenêtres grandes ouvertes, des jeunes
gens musclés rivalisaient dans un sport non olympique : faire
claquer le plus fort possible sur son ventre son organe génital en le
relâchant, armé comme un chien de fusil, après avoir fait
ressort en le tirant vers le bas.
De la
vie quotidienne, qui se traînait ennuyeusement, le trente-cinq
millimètres de lusine de Leipzig découpait les nuques des
recrues, éclairées par les rayons du projecteur de cinéma,
le pourpoint doublement percé de Gérard Philipe (un drap
troué servait décran), le lourd similicuir des bottes dans la
boue noire des chemins dautomne, des bottes, des bottes, des bottes
jusquà lhorizon, jusquà lendroit où la boue terrestre
sunissait à la boue qui se déversait du ciel
Il
photographiait les murs sombres de la buanderie enfumée, les vareuses et
les portianki [5]
suspendues au plafond, une guitare tenue par les bras criblés de taches
de rousseur du caporal Iouchtchenko et sa tête blonde quand il
fredonnait, les yeux fermés, en plissant son front étroit :
Ah, que sa poitrine est petite
Aux annales de cette époque appartient
aussi une scène prise dans les bains : lenfer blafard dun
énorme baraquement au plafond bas et embué, aux murs
écaillés, couverts de grosses gouttes vivantes, aux tuyaux
rouillés, aux fenêtres grillagées (allez savoir pourquoi)
et une centaine dombres efflanquées, floues, des baquets dans les
mains, ou sans baquets, faisant la queue pour leau chaude ou cherchant un banc
libre, ou encore frottant le dos dun gars du pays. Le centre de cette
scène, laxe autour duquel tourbillonnait lessaim des ombres,
était le maïor
Karatchaïev, un bonhomme dune soixantaine dannées, sans ceinturon
ni vareuse et, pour tout dire, à poil, qui se tenait sous une ampoule
nue de trente watts. Son ventre descendait en plis jusquà laine,
jusquà la filasse avec laquelle il se frottait lentrejambe, la bouche
intensément ouverte et les yeux écarquillés. Kratchaï
les soldats lappelaient ainsi était veuf, et bien quil
disposât dun appartement en ville, il mangeait, dormait et se lavait
à la caserne.
Kim
prenait ces photos en cachette, en calculant à lavance lexposition et
la profondeur de champ, et conservait les clichés, par
précaution, chez des copains de la section mécanisée.
Certains négatifs présentaient des défauts
regrettables : des taches, des points et des astérisques
incompréhensibles. Il avait dabord cru la pellicule défectueuse,
mais une fois arrivé au poste de contrôle où lon
surveillait la partie souterraine de la ville dA-Tomsk [6],
il comprit que ces anomalies étaient dues aux radiations.
Parfois,
il gagnait quelque argent en photographiant de bonnes tronches, braves et
tendues, au regard figé Les gars posaient en serrant leur Kalachnikov
dans leurs bras, casquettes crânement vissées sur loreille, ou
bien vêtus seulement dun caleçon de satinette, soulevant dans
chaque main un poids de seize kilos au-dessus de la tête. La cantine de
la caserne ne permettant pas de manger à sa faim, ces petits revenus les
autorisaient, Boris et lui, à se payer des festins une ou deux fois par
mois. Ils senfermaient dans le labo et se gavaient de sprats, de pommes de
terre cuites, de vrai fromage et de saucisson, en arrosant le tout de cabernet
bulgare. Kim se rendait lui-même en ville pour faire les courses en
posant une demande de sortie chez lofficier de garde : il manquait tout
le temps de fixateur, de papier n 3 et dampoules rouges qui restaient
allumées en permanence. Cétait Statsinski, le joueur
dhélicon de la fanfare, qui introduisait sans faille alcools et spiritueux
dans la caserne en les dissimulant dans le ventre de son boa constrictor de
cuivre.
Ils
bénéficièrent de cette bonne planque jusquà la fin
de septembre. Le dernier dimanche du mois, les deux amis ayant une permission
de sortie jusquà dix heures du soir, ils se rendirent en ville dans
leurs tenues brossées et repassées, comme deux ballerines. La
ville navait de ville que le nom. Cétait une zone interdite où
vivaient les ouvriers et les ingénieurs des usines souterraines. Mis
à part lalcool sibérien, la pêche à la ligne qui
livrait des produits douteux et les rixes, elle noffrait aucune distraction
particulière. On trouvait en moyenne une fille potable pour vingt
garçons et les soirées se passaient immanquablement à
chanter en chœur des refrains de la pègre et à se bagarrer.
Quant au poisson, il était douteux pour une simple raison : les
brochets et les carassins du coin affichaient, comme tout le reste, une
radioactivité de plusieurs milliers de becquerels
Deux
autochtones, toutes deux élèves de terminale, les attendaient ce jour-là
dans un petit appartement aux murs passés à la chaux à la
manière villageoise, dans des tons tirant sur le bleu. Ils les avaient
draguées au club de la caserne, lors dune rencontre avec la population
locale. Ce soir-là, Boris avait lu ses vers libres, provoquant
lindignation du chef du service politique, pendant que Kim samusait avec son
tout nouveau flash. Galia et Valia étaient restées au bal et,
après avoir goûté à lalcool pur allongé de
sirop de framboise, elles sétaient laissé entraîner, non
sans résistance, dans le laboratoire de photo, où elles avaient
permis aux deux vaillants soldats soviétiques dexplorer leur somptueuse
topographie.
La
fraternisation avec la population locale sétait arrêtée
là. Elles avaient néanmoins invité Boris et Kim à
un dîner à la fin du mois. En se dépêchant de
rejoindre leur dortoir avant lextinction des feux, ils sétaient
juré de ne pas faire les malins avec leurs supérieurs, de bien
cirer leurs bottes et de gagner honnêtement les permissions en ville.
Dans
les dernières heures de ce clair dimanche de septembre, ils se
débarrassèrent tous deux de leur chasteté
accumulée, Boris sur un lit mou, si défoncé que le matelas
touchait le sol, et Kim dans des conditions de combat plus compliquées,
dans la cuisine pleine de vaisselle sale. Les deux filles de terminale,
Sibériennes passionnées et robustes, voulaient ardemment le
mariage : partir pour Moscou, quitter la zone, les barbelés, les
radiations, la Sibérie. Elles abordaient sans ambages les questions du
sexe et payaient davance.
Boris
et Kim, pour qui elles étaient les premières femmes vivantes
depuis deux longues années dincorporation, se soûlèrent
joyeusement et, à peine sortis de la maison, se bagarrèrent avec
une patrouille des troupes de construction. Cela aurait pu navoir aucune
conséquence particulière car ils faisaient tout deux de la boxe
et couraient les trois kilomètres réglementaires tous les matins,
mais, dès quils eurent semé la patrouille, ils décidèrent
de continuer à boire, den rajouter absolument. Comme tous les magasins
dA-Tomk cest-à-dire lunique magasin dalimentation étaient
fermés, ainsi dailleurs que la pharmacie locale, où lon pouvait
se procurer de divines décoctions à lalcool contre la toux et
autres durillons du cervelet, ils firent irruption, par une fenêtre du
rez-de-chaussée habilement défoncée, dans le bloc
opératoire de lhôpital, en sachant très bien que les
serviteurs dEsculape gardaient toujours une réserve dalcool pur.
À
une heure du matin, Boris, revêtu dune blouse blanche nouée de
travers dans le dos, de gants de caoutchouc mal chaussés laissant voir
des cloques dair au bout des doigts et dun masque blanc à travers
lequel il avait enfoncé une cigarette, proposa à Kim une appendicectomie :
pourquoi ne pas le débarrasser dun organe dont personne na besoin dans
cette putain de vie ? Cette idée les fit rire aux éclats.
Torse
nu, la culotte de cheval déboutonnée mais en bottes, Kim
sétendit sur le billard, froid à donner des frissons, et son ami
denfance, le caporal Boris Zavadski, dit Zavad, ou encore Zavadilo, riant
à travers la gaze brûlée par la cigarette, tenant dune
main un verre dalcool tiède allongé deau du robinet et, de
lautre, un scalpel bleu, lui fit dans la partie inférieure droite de la
cavité abdominale, rousse de liode encore frais, une incision qui ne
semblait pas vraie. Boris plaisantait vraiment et tenait le scalpel en lair,
ou presque, et même le sang ne jaillit pas tout de suite. Il ny eut
dabord que quelques gouttes, comme des grains de rubis, mais lorsque Kim, qui
tenait également à la main un verre
d anesthésique , tenta de se relever, le sang gicla pour de
vrai, les dégrisant tous les deux sur-le-champ.
Linfirmier
de service, réveillé par les rires et les cris, sut arrêter
lhémorragie et poser des agrafes en proférant des jurons fort
professionnels.
Boris
rendit visite à Kim, au service sanitaire du régiment, deux
semaines plus tard : après ses jours darrêt, il avait les
traits tirés, le visage rouge, hâlé par le vent, et les
yeux enflammés, tout aussi rouges, mais il était gai et mordant
et parlait du déchargement des wagons de ciment comme sil
sétait agi de vacances en Crimée.
À
sa sortie du dispensaire, Kim rendit le labo photo à un rengagé
moustachu et indolent de lintendance, brûla quelque trois cents photos
dans un vieux seau et, à la première occasion le sergent Lozine
se rendait à Moscou, pour lenterrement de son père , fit
parvenir un rouleau de négatifs chez lui. Il fit dix jours
darrêts et fut affecté à la garde de linstallation
souterraine dÉtat n 17, classée d importance
spéciale : il devait rester debout, sa Kalachnikov en
bandoulière, à lentrée de la salle 33-A, pour
contrôler les laissez-passer des travailleurs en combinaison
synthétique de protection, tout en transpirant dans la muselière
de son masque et en accumulant les doses dirradiation.
Le PF
produit final était transporté hors de la petite zone dans un
puissant camion, entièrement couvert dune bâche noire et
escorté par trois camions blindés, deux Jeep et une Volga du KGB.
Luranium
enrichi constituait la production principale des installations souterraines.
Les produits dérivés en étaient la leucémie, les
suicides et la peur chronique.
Boris,
dégradé en soldat, fut pris de cafard bien quil ne lui
restât que onze mois jusquà la quille. Il eut lidée de
simuler la folie pour être réformé. Il écrivit
à Moscou, au professeur Snejnevski, une lettre critiquant son dernier
article sur la schizophrénie torpide [7] ,
paru dans la revue Zdorovie. Il fut
aussitôt interné dans un asile des environs doù il
décrivait, dans de longues lettres kafkaïennes quil faisait sortir
grâce à un chauffeur de ses amis, des pédés
attelés comme des wagons que lon soignait avec des
injections hormonales et un grand escogriffe conducteur de tracteur qui, en
état débriété, avait eu des rapports intimes avec
une chèvre.
Ce
dernier, convaincu que lanimal lui avait refilé une vilaine maladie,
certifiait aux médecins que ses intestins étaient remplis de vermine.
Le pauvre type les suppliait de linciser durgence et de le nettoyer de
lintérieur , ce qui lui avait valu dêtre envoyé
à lasile. Il tenta à deux reprises de souvrir le ventre
lui-même : une fois avec des ciseaux volés et lautre, alors
quon lavait isolé, avec un tesson de verre.
Le
docteur Slavtchouk, écrivait Boris, assez barjo lui-même, avec sa
gueule renfrognée une fois pour toutes, cherchait tout le temps à
savoir pourquoi le conducteur de tracteur croyait quune chèvre
soviétique ordinaire avait pu lui passer une sale maladie. Et le grand
gars timide, aux énormes battoirs rouges et aux yeux presque albinos,
détournait la tête et marmonnait que la chèvre était
tristounette pendant le coït La rencontre fatale avec la
chèvre, concluait Boris, avait eu lieu le jour où sétait
marié le frère du gars, qui, apparemment, convolait avec la
dulcinée de ce dernier. Notre Hercule se soûla et rencontra son
destin cornu aux cils papillonnants dans un étroit sentier de
forêt
Pendant
les manœuvres qui déferlaient sur la région comme des
vagues, Kim avait eu maintes fois loccasion dassister à de tels
mariages, dans les villages. De grands seaux démail, remplis de vodka,
étaient généralement posés à lentrée
ou près du perron.
Vers
le Nouvel An, Boris fut définitivement réformé. À
son retour à Moscou, il tomba en vrille dans une vraie
dépression, sans frime, et ne donna plus de nouvelles pendant deux mois.
Lorsquil sortit de lhôpital de Pokrovo-Strechnevo, il envoya à
Kim une lettre sombre dont les paroles crissaient comme des morceaux de coton
sale et gris. La dernière phrase était : On nous a
salopé trois années entières de notre vie.
Kim
fut démobilisé à la fin du mois de novembre. Au changement
de train à Novossibirsk, la neige tombait à gros flocons et,
à Moscou, sous une pluie glaciale, les voitures pataugeaient dans une
boue épaisse. Comment recommencer à vivre, voilà qui
nétait pas clair.
Après
les bottes de larmée, les chaussures de ville lui semblaient
légères comme du duvet. Ce ne fut pas sur le quai, mais sur le
talus, dans lherbe parsemée de pissenlits et deuphorbes, que Kim sauta
un matin de juillet 1969 : le rapide Moscou-Kharkov ne
sarrêtait pas à la petite gare discrète, un peu à
la Bounine, du village où séjournait, cet
été-là, létudiante aux yeux clairs de
lécole Stroganov des beaux-arts qui, en octobre, épouserait Kim
dans le triste bureau de létat civil de larrondissement Moskvoretski,
à Moscou, et qui, après quarante minutes dattente, recevrait son
certificat de divorce dans la même administration officielle et ennuyeuse
mais au rez-de-chaussée en avril 1970.
Son
habitude lui sauva la vie à deux reprises. La première, elle lui
épargna la rencontre dun couteau dans un train de banlieue, près
de Dolgoproudnaïa, alors que deux sinistres ostrogoths ivres lavaient
acculé, pour samuser, dans un coin du tambour couvert de crachats et
que, après avoir reçu chacun quelques coups brefs, ils avaient
sorti, lun un coup-de-poing américain et lautre un couteau de sa
propre fabrication. Dun coup de pied, Kim ouvrit toute grande la
portière. Elle battit un moment. La nuit était humide et noire.
Le train navait pas encore repris de vitesse après le dernier
arrêt, et Kim savait quaprès la courte passerelle sur laquelle
les roues venaient de résonner, il y avait une pente douce, couverte de
gravier. Sans cesser de fixer le couteau des yeux, il esquissa une feinte,
saisit à tâtons la poignée mouillée de la porte et,
dès quil toucha la marche avec son pied, il fit un pas en
arrière, dans la nuit. Il tomba, la tête rentrée dans les
épaules. Pendant que les roulades soumettaient son dos et son
arrière-train aux bourrades de racines et de mottes invisibles, il
grinçait des dents en suffoquant de rage.
Mais
il avait pris la seule bonne décision : il craignait les couteaux plus
encore que les balles. Même le couteau en bois que tenait le roux
capitaine Tsyrioulnikov, à lentraînement de sambo, lui faisait
une peur bleue.
La
deuxième fois, la technique du saut le sauva de la prison : il
séjecta dune Volga du KGB, au tournant situé près de
lhôtel Rossia, là où lancien bâtiment de la Bourse
était percé des orifices noirs de ses innombrables passages.
On
avait fini par larrêter après une phase dintimidation plus
douce et des exhortations proférées dune voix paternelle
à se comporter comme il faut
pour avoir organisé des expositions de photos sans autorisation. Sa
Russie en noir et blanc de petites villes de province, de baraquements de
soldats, déglises détruites et souillées, divrognes dans
la rue, de putes dans les gares, horribles comme des péchés
mortels, de fonctionnaires majestueux sous leurs chapeaux enfoncés
jusquà leurs oreilles décollées, dartistes non conformistes
barbus faisant la noce, est devenue un classique en Occident.
Son
album de deux cents pages, De lautre
côté du miroir rouge, fut édité à
Francfort, puis à Paris, à Londres, à New York et plus
tard, partout
Kim
aurait préféré une édition
dépouillée, sans commentaires, mais, hélas, Lutz Schafuss,
si docile à Moscou, si généreux et attentif,
agrémenta le recueil du texte dun célèbre dissident
quune mégalomanie féroce et chronique faisait écrire de
manière pathétique, mais peu cultivée : dune
certaine façon, ce nétait guère différent des
articles de la Pravda, mais dans un
registre idéologique opposé.
Le
capitaine Kolomeïets, un type sympathique et robuste au nez de boxeur et
aux yeux de jeune fille, montra sa carte professionnelle à Kim avec le
geste de celui qui vous montre une photo porno dans un lieu public.
La
perquisition ne donna rien, bien que les gars balourds ils se ressemblaient
tous de la brigade de Kolomeïets eussent mis sens dessus dessous le
logement des Chouïski. Ils regardèrent même à
lintérieur de la demi-cheminée et derrière le
demi-miroir, soulevèrent quelques lattes de parquet et ouvrirent en
éventail, lun après lautre, les livres des trois
bibliothèques.
Ils
parvinrent néanmoins à trouver quelques photos. Sur lune dentre
elles, une jeune femme aux cheveux défaits courait à sa rencontre
à travers de hautes herbes, et le ciel lourd, déchiré par
lorage, se baissait comme pour une attaque. Elle riait en renversant la
tête en arrière et en tendant les bras en avant, comme si elle allait
tomber. Des gouttes de pluie ou de sueur coulaient le long de la courbe
doiseau de son cou, de sa jeune poitrine et de son ventre à peine
arrondi : elle ne portait pas le moindre vêtement.
Dans
la même enveloppe, on trouva quelques photos de Boris : près
de léglise dIvan-le-Guerrier, rue Dmitrov, sur un court de tennis,
à Sokolniki, fardé et portant perruque pendant un
réveillon avec des amis de lInstitut des langues
étrangères une Parisienne bronzée, Yvonne, la bouche
arrondie, lâchait un nuage de fumée de cigarette vers lobjectif.
Un portrait de sa mère, quelques jours avant sa mort, était
posé sur le demi-manteau de la cheminée. Elle se tenait assise
près dune fenêtre envahie de ficus et de pousses de citronnier,
entourée de coussins, un livre français glissant de ses genoux,
et regardait dans le vague, à côté de lobjectif, à
côté de la fenêtre, des buissons de lilas vaporeux qui
moussaient derrière le feuillage noir des ficus.
À
côté de la vie, occupée à palper une douleur sourde,
pensait Kim.
Le
Kremlin noyé, sa première photo, décolorée et
marquée dune bande jaunie de ruban adhésif, gisait sous le
canapé, en compagnie dune noix et dun mouchoir poussiéreux
dune époque inconnue. Kolomeïets le prit avec deux doigts et le secoua
avant de le tendre à Kim. Cétait le slip de soie grise dune
beauté oubliée.
Avec
un gentil sourire, Kolomeïets accusa poliment et timidement Kim doutrage
aux bonnes mœurs : létudiante des beaux-arts qui courait dans
les hautes herbes pouvait provoquer parmi les masses populaires des frissons un
peu malsains.
Ben
alors, il faut les soigner, vos masses populaires, fit Kim.
Il
ny aurait pas assez daspirine pour tout le monde, rétorqua le
capitaine.
On
installa Kim dans la Volga, entre deux types costauds. Mais, à Ordynka,
près du grand magasin dalimentation, lun deux sortit et Kim, tout en
parlant avec Kolomeïets du dernier film de Bertolucci, se
déplaça subrepticement vers la portière de gauche. Il eut
de la chance : cigarette entre les dents, Zajadie, son voisin, se pencha
par-dessus le dossier du siège avant pour prendre du feu dans les paumes
en vasque de Kolomeïets. Lorsque la flamme bleue éclaira son visage
de paysan et ses poils mauves, Kim ouvrit la portière dun brusque
mouvement et se jeta en roulé-boulé sous les roues dun taxi qui
venait en sens inverse. Le taxi fit une brutale embardée, renversa une
poubelle et grimpa sur le trottoir dans un grand grincement de freins, tandis
que derrière lui un autobus de lIntourist tintinnabulant émit un
profond barissement et barra la rue après avoir percuté la Volga.
Kim,
dabord en sécorchant les paumes, à quatre pattes, puis sur ses
deux jambes, sélança vers un escalier.
Il
connaissait la vieille Bourse comme sa poche. Il traversa la galerie
supérieure, le long des bureaux notariaux et des comptoirs de revendeurs
fermés pour la nuit, dévala les marches de marbre usées de
lentrée et se retrouva en bas, dans une ruelle calme et sombre. Il
coupa alors à travers une cour intérieure plantée de tilleuls
et ornée de bancs, dépassa léglise rose et proprette de
Saint-Pierre-et-Saint-Paul et se retrouva dans Krivokolenny. Là,
à la troisième fenêtre à partir de langle de la
rue, vivait un fana du cool, un géant du jazz, pianiste au restaurant
Aragvi, Sania Monk, Goldstein de son vrai nom. Monk était vraiment un
ami de confiance. Il donna deux cents roubles à Kim sans y
réfléchir à deux fois et promit de transmettre une lettre
à Schafuss, ainsi que dassurer au citoyen Chouïski une invitation
dune certaine tante Ida, qui vivait près de la gare abandonnée
dun chemin de fer turc, dans la chaude ville de Beer-Sheba.
Trente
heures plus tard, Kim était allongé sur un matelas bourré
de foin, dans une mansarde, sous de bas cieux cimmériens, et
écoutait le roulement égal et puissant du ressac en attendant les
informations de minuit de la BBC. Le présentateur du journal, qui
parlait avec un bizarre accent dénué daccent, conclut les
nouvelles en provenance de Moscou par un texte standard : On
apprend, de sources bien informées, quune menace pèse sur le
maître de la photographie russe
Kim
éteignit la radio sans écouter jusquau bout. Schafuss a
de la veine, pensa-t-il. Il va sortir un quatrième, un cinquième
tirage du Miroir rouge et, si lon me met en tôle, il y en aura un
sixième, un septième, un douzième
Au
bout de quelques semaines, transformé par le soleil de Crimée en
son propre négatif, portant cheveux longs décolorés et
barbiche frisottante, Kim reçut à la poste du village une lettre
bizarre : une longue enveloppe non soviétique sur laquelle une petite
fenêtre laissait voir son nom et son adresse. Sur un papier dune
blancheur telle quil nen avait jamais vu, un texte laconique imprimé
en caractères cyrilliques dune netteté sans
précédent annonçait que Mira Solomonovna Chouïski
attendait avec impatience son neveu Kim Innokentievitch dans le cadre dune
réunification familiale et était prête à
laccueillir dans sa ville natale de Haifa. Linvitation était
scellée dun cachet de cire rouge apposé sur une bande de soie
rouge.
Quelques
années plus tard, rencontrant le gros Monk, grisonnant et rigolard,
à langle de Canal Street et de Broadway, Kim apprit que ce dernier
navait pas eu le temps de demander linvitation pour Israël : des
argousins avaient fait irruption chez lui la nuit même et il avait
passé les quatre années suivantes à jouer de
laccordéon dans lensemble amateur dune communauté bien
soudée, logée, grâce aux bons soins dindividus aux
épaulettes bleues [8],
au nord du 78e parallèle.
En
Israël, avec un nom pareil ! Kolomeïets mangeait une pomme bien
croquante, la tête renversée vers le plafond. Cest vraiment du
cinéma ! Voilà que Miloslavski est juif. Volkonski descend
dune famille de rabbins. Korsakov habite à Tel-Aviv. Officiellement, du
moins Les Bariatinski se découvrent des liens de parenté avec
des Lévy. Et maintenant, Chouïski, le dernier des Chouïski [9],
veut partir pour Sion !
Il
mordit dans la pomme avec force, et le jus coula sur son épaisse
lèvre inférieure et son menton propret. Sans même regarder,
Kolomeïets sortit de la poche de son pantalon civil un mouchoir à
carreaux bien repassé, sessuya la bouche et lança adroitement le
trognon dans la poubelle, sous le portrait du secrétaire
général.
Vous
nirez nulle part ! dit-il en changeant de ton et en se levant de table.
Vous navez pas assez de filles nues en URSS ? Ou est-ce la lumière
qui nest pas bonne ? Le soleil ne brille pas sous le bon angle ?
Notre pellicule est-elle trop granuleuse ? Et que faites-vous de votre
signature au bas de la déclaration de non-divulgation de secrets
dÉtat ? Et de linterdiction de voyager ? La patrie,
Chouïski, nest pas une chemise ! On ne peut pas en changer aussi
facilement !
Mais
la validité des papiers que jai signés pendant mon service
militaire était de cinq ans.
Kim
dévisageait avec amusement le capitaine. Soit il avait bu, soit il
sétait shooté avec de la poudre dentifrice confisquée
lors dune perquisition, soit cétait un acteur encore plus
génial que Smoktounovski.
Cétait
pour cinq ans, répéta Kim, et cela en fait sept maintenant
Vos
voisins ne partent pas, poursuivait Kolomeïets sans lécouter. (Son
visage se contractait et il clignait des yeux.) Regardez les Chouchounov !
Et les voisins des voisins, les Boutchkine, ils ne partent pas, eux non
plus !
Il sapprocha de la fenêtre qui donnait
sur une petite cour déserte, asphaltée comme un patchwork
grossièrement cousu, frappa du poing sur les croisées, mais assez
doucement, et dit sans se retourner :
Cest
grâce à votre père que lon ne vous laissera pas partir.
Cest ridicule ! Le fils de Chouïski lui-même ! Innokenti
Alexandrovitch ! Cest clair ? Un point, cest tout !
Il se
tourna vers Kim et se balança sur les talons, un sourire de gamin, un
peu idiot, lui fendant le visage dune oreille à lautre.
Adieu,
prince, dit-il avec une révérence, en se reculant
légèrement. Kim lui adressa un signe de tête sarcastique,
se leva et sortit.
Le
couloir du service des visas sentait leau de Javel et la valériane.
Dans la salle dattente, sous la surveillance dune caméra qui tournait
lentement, une vieille femme obèse était assise, tenant
écartées ses énormes jambes gonflées, et
séventait avec le questionnaire de départ. Près delle,
cela ne sentait ni la Javel, ni la valériane, mais la naphtaline.
Sans
les grosses étoiles du Kremlin dans le ciel nocturne, visibles entre les
lourds rideaux mal fermés, la scène aurait pu se dérouler
en Occident : à Londres, ou peut-être à Amsterdam.
Chouïski père dépassait Kim dune tête, avait des
épaules larges, de grosses bajoues, comme un bouledogue, et des cheveux
gris, soigneusement coiffés en arrière. Il était assis,
légèrement penché en avant, dans la lumière douce
dun abat-jour de soie, sous une aquarelle de Benois dans un cadre or
pâle.
La
première chose qui attira lattention de Kim chez cet être
parfaitement étranger furent ses mains. Les longs doigts nerveux
semblaient animés dune vie propre : ils se nouaient et se
dénouaient sur les genoux, palpaient la solide étoffe du pantalon
comme sils voulaient en connaître le prix, montaient en courant sur les
revers de la veste de tweed vers le nœud de la cravate écossaise,
retombaient sur les genoux, les paumes renversées, comme pour faire
remarquer combien ils étaient sans défense, mais se jetaient aussitôt
les uns sur les autres parmi les sourds craquements des articulations
torturées.
Une
jolie domestique portant un coquet tablier poussa dans la pièce une
table roulante chromée qui brillait comme un appareil chirurgical.
Chouïski père prit un pur malt âgé de seize ans, et
Chouïski fils de la vodka glacée, versée dun énorme
carafon vert foncé sur lequel grimaçaient des diablotins et qui
portait, en pleins et déliés, linscription : Bois,
bois ! tu verras les diables !
Les Étoiles de midi, la
pièce qui avait apporté à Chouïski la
notoriété, le prix Staline et, naturellement, de largent,
nétait quune sorte de voile, de couverture, de rideau
poussiéreux mais épais derrière lequel tournaient
silencieusement les énormes roues bien huilées dune tout autre
vie.
En
réalité, il avait écrit des centaines de pièces et
de scénarios dont les critiques de Moscou ou de Piter navaient jamais
entendu parler et qui se jouaient non pas sur scène, mais dans la vie.
De
vrais spectacles étaient montés selon ces scénarios, et si
le script disait quun beau brun séduisait une blonde fantasque, alors
la blonde finissait réellement au lit avec le brun et lui refilait
même, en guise de preuve, une quelconque flore ou faune. Et si le script
expliquait quun monsieur X mourait dun infarctus ou dun cancer inattendu,
alors il décédait aussi dans la vie.
Le plus souvent, les X finissaient dans un
accident, sur la route ou dans le métro, ou étaient tout
simplement abattus de deux balles dans la nuque. Mais il arrivait aussi quils
meurent vraiment dune crise cardiaque ou dun cancer, ce qui prenait beaucoup
plus de temps.
Chouïski
père était le scénariste en chef, le dramaturge interne de
la direction K du KGB. Dans son service travaillait une brigade de jeunes gens
talentueux qui collectaient et triaient la matière première, les
informations dont le chef avait besoin pour ses scripts. Ils lui
préparaient des informations détaillées sur la topographie
de villes lointaines, le climat, le caractère national, les personnages
engagés dans lhistoire, leurs penchants, leurs familles,
laménagement de leurs appartements, les marques de leurs voitures,
leurs cigarettes et leurs apéritifs préférés. Ces
personnages, cest-à-dire les acteurs, volontaires ou non, étaient
les agents, leurs adversaires et les pions secondaires. Leurs rôles et
leurs qualités étaient codifiés par Chouïski
père avec son humour particulier et son amour du jargon.
Éteignoir
était le surnom dun agent qui dormait jusquau moment où lon
avait besoin de lui, qui sétait accoutumé au quotidien dun pays
étranger en se glissant sous sa peau, telle une tique. Mercs (Mercure)
désignait des agents de liaison qui faisaient du slalom entre les pays,
changeant de noms et de visages et parfois même de sexe avec le
professionnalisme dacteurs confirmés, et qui savaient se dissoudre dans
nimporte quel milieu sans laisser de trace, comme le café soluble, au
premier signe dalerte. Quant aux Fléaux, il sagissait des
exécuteurs, des bourreaux. Si Chouïski devait leur serrer la main,
il leur tendait la gauche, et sil lui arrivait de boire avec eux, il
remplissait les verres également de la main gauche.
Il y
avait aussi les Labs, spécialistes de la mécanique et de
lélectronique, capables de construire en une demi-heure un ULM à
partir dune machine à coudre, dun fauteuil roulant et dun rideau. Ou
encore, si cela se révélait nécessaire, ils savaient
introduire un micro dans le caecum dun célèbre joueur de
basket-ball. Pendant le match À lorigine, ces Labs exerçaient
en tant que chercheurs dans des laboratoires. Mais ils comptaient aussi dans
leurs rangs des spécialistes dans des domaines très
pointus : des experts de la mode de Milan, de la rue Spiga, de la
fabrication dalliages rares ou de la culture dun tout petit buisson, lerythroxylum coca, dont les feuilles,
broyées en pâte et vaporisées, donnaient une poudre blanche
et brillante C17-H24-NO4 qui, introduite
dans le sang, transformait le monde en un vibrant arc-en-ciel
À
la place du russe istotchniki,
Chouïski père utilisait le mot anglais Sources. Les Sources étaient en général des
autochtones achetés ou vendus, artificiellement terrorisés ou
peureux de naissance, naturellement aigris ou habilement remontés,
véritables idéalistes ou aventuriers avides de fric, de
blé, de pèze, ou de jeune chair pécheresse dont les
sous-sections du KGB regorgeaient leurs stocks semblaient
inépuisables.
Le
Climat désignait la situation politique concrète à une
date précise. Les Circonstances recouvraient lensemble des
données obtenues sur une personne, fût-elle une Source, un Piston
(celui qui poussait les idées et les affaires) ou un Frigo, pas un
réfrigérateur, hélas, mais un mort en puissance. Le
Décor comprenait tout : la topographie des villes, les ruelles, les
places, les passages souterrains, la disposition des appartements, des
restaurants, des bureaux, des gares, des toilettes publiques et, bien
sûr, des parkings. En concevant une pièce, Chouïski
père ne savait pas par quelle porte allait entrer la Source, à
quelle table elle irait sasseoir ni dans quel restaurant. Ni à quel
moment (et pourquoi) elle cesserait dêtre un quelconque Kevin Waltson
pour passer dans la catégorie des Frigos ou disparaîtrait comme
dans un numéro de prestidigitation.
La
direction K recevait des quatre coins du monde des tonnes de magazines,
dimprimés, de catalogues, daffiches, de prospectus publicitaires, de
brochures dagences de voyages. Elle disposait des annuaires de toutes les
capitales du monde, et si lune des pages jaunes concernant Paris
était détériorée par mégarde, on en faisait
venir aussitôt une copie par courrier diplomatique.
Chouïski
père travaillait sur un banal Macintosh où lon introduisait
toutes les données nécessaires au scénario. Il aimait
quon le surnomme Dumas père et il emplissait de chair humaine bien
vivante la carcasse vide de ses synopsis avec un grand entrain et une froide
jouissance.
Il
connaissait sa propre valeur et savait bien que eux , ceux de
létage du dessus, accomplissaient un travail semblable au sien, qui
consistait à tailler et à monter des scénarios
(nuls !) mettant en scène la planète tout entière,
mais lui, Innokenti Alexandrovitch, pratiquait uniquement des opérations
chirurgicales urgentes, les sauvant déchecs chroniques, reprisant leurs
accrocs et réécrivant leurs débuts ineptes et leurs fins
monstrueuses. Il avait conscience dêtre en réalité un
invisible Numéro Un.
La
salle de contrôle pouvait recevoir, sur ses nombreux moniteurs, des
dizaines de chaînes de télévision par satellite et
disposait de puissants récepteurs dondes courtes. Des
magnétoscopes et des projecteurs de diapositives étaient toujours
prêts à fonctionner, des télex crépitaient et une
porte capitonnée de cuir menait dans une salle de cinéma, petite
mais confortable. Parfois, Chouïski père confiait tous ces joujoux
à un acteur, une star, quil fallait entraîner jusque dans les
moindres détails de larrière-plan de tel ou tel pays, en lui
donnant à visionner à satiété des messages
publicitaires et des clips vidéo, en lhabituant aux facéties des
animateurs de télévision et aux spectacles érotiques
grouillant de fesses nues.
Mais
le plus souvent, Chouïski père restait tard dans cette salle en
compagnie du Chef, un homme binoclard et sec, dorigine grecque, né
à Kertch. De là, ils surveillaient les réactions des
services occidentaux à leur dernière mise en scène et,
sil le fallait, procédaient en temps réel à des
corrections du script vivant et vibrant.
Le
Chef nétait pas de ceux qui desserrent les lèvres pour sourire,
mais en écoutant les supputations de spécialistes
européens ou américains, les commentaires de soviétologues
ou, parfois, des propres acteurs de la mise en scène, il
découvrait ses grandes dents tachées de nicotine et extirpait des
tréfonds de lui-même un cri sec de volatile.
Le
Chef considérait Chouïski père comme son bras droit et
aimait à lui répéter que le pouvoir est lart de
contrôler limagination et que sans le contrôle des
organes de sécurité, limagination géniale de
Chouïski aurait été trop dangereuse pour le
pays .
Innokenti
Alexandrovitch jouait avec des personnes vivantes, ce qui était beaucoup
plus passionnant que décrire des pièces, fût-ce pour le
prestigieux Théâtre dart de Moscou. Il nourrissait tout de
même un rêve quil navait pu, hélas, réaliser
encore : une collaboration créatrice avec celui quil
considérait comme son maître secret, un homme qui lavait à
jamais bouleversé par la puissance et la liberté de sa fantaisie,
lauteur de M&M, Le Maître et
Marguerite Grâce à ses parents et à une enfance qui
avait brièvement baigné dans latmosphère turbulente et
chaude davant la Révolution, il connaissait une demi-douzaine de
langues et sa bibliothèque valait celle dune université
décente, Lille ou Keele, par exemple. Il connaissait tous les rois du
roman despionnage, enviait parfois Le Carré, appréciait Forsyth,
mais était fermement convaincu que le degré délaboration
de ses propres sujets dépassait réellement les leurs.
Parfois, on lui montrait des scènes
filmées grâce à une caméra cachée : une
nigaude dotée dénormes nichons sagitant sur le ministre de la
Défense dun Boumboumland quelconque, trois Papous armés de
javelots dansant autour des débris calcinés dun
hélicoptère ou un gentleman marchant dans une petite rue soudain
victime dun trouble de lappareil vestibulaire, de sorte que, refusant de
croire à ce qui lui arrivait, il sasseyait dans une petite flaque,
à Brooklyn, sous le crachin de juillet.
Parfois,
il ny avait que du son. Chouïski père, enserré dans
létau dun casque stéréo, écoutait en gloussant la
transmission en direct, déplaçant machinalement des papiers sur
son bureau et se figeant pour secouer la tête dun air
significatif : Bien !
Dautres
fois, il organisait des répétitions, vitupérait les
acteurs, secouait sa tête grise, leur ordonnait de se
perfectionner dans des activités aussi compliquées
que la mendicité dans les rues de Londres ou le travail de barman dans
un bouge homosexuel de Munich. À la différence de lunivers du
théâtre, ses mises en scène débouchaient toujours
sur un résultat concret : un échantillon de sol dans une
éprouvette, un microfilm, une information glissée dans une
cassette musicale, entre deux accords, et même de largent des millions
et des millions de dollars ou encore, plus rarement, la disparition ou la
mort de quelquun.
Tout
cela était noté par un autre service, mais cette
comptabilité présentait peu dintérêt pour
Chouïski père. Il était de la vieille école et le
principe de lart pour lart lui importait plus que la trivialité dune
technologie secrète, enfin obtenue, de fabrication des supraconducteurs
Kim
avait appris tout cela dans un livre anglais consacré à son
père : LÉminence
grise rouge, du maïor
Gloukhov, ancien opérateur de la salle de contrôle,
spécialiste de lIslande, devenu, après son passage à
lOuest, le Frigo potentiel numéro un. Dans sa préface, Gloukhov
écrivait que les diplomates occidentaux et les attachés
militaires en mission à Moscou allaient voir régulièrement
Les Étoiles de midi pour
tenter de dissiper le mystère Chouïski. En elle-même, la
pièce nétait quune vulgaire rumination de lépoque
stalinienne, comportant des comités du parti, des activistes, une
dénonciation de la morale bourgeoise, un incendie criminel dans un club
douvriers. Un seul critique, pendant la période de dégel
khrouchtchévienne, avait osé écrire quen
réalité cette pièce était peut-être une
satire horriblement grotesque, une farce, une caricature de la
société progressiste. Mais Gloukhov concluait que Chouïski,
rentré volontairement à Moscou de lémigration berlinoise
et ne souhaitant pas sadapter au régime, transiger avec sa conscience
et faire semblant, à linstar de tous les autres, était
sincèrement passé dans le camp des vainqueurs.
Assis
dans les plis dun énorme fauteuil de cuir, face à cet homme, Kim
échouait, en dépit de tous ses efforts, à bander le muscle
mou du sentiment filial et à ressentir pour lui autre chose quune
certaine curiosité.
Il
pensait à sa mère et sefforçait de se remémorer
limage quil avait gardée delle lorsque, encore jeune, elle portait
toujours une superbe natte en couronne sur la tête et damples manteaux
froufroutants
Ni
les robes légères en crêpe de Chine quelle arborait
à la datcha, ni ses épaules bronzées, ni le camée
sur un ruban de velours, ni les bas de soie à couture apparente qui
glissaient à terre du fauteuil de velours râpé, à
côté du programme de Gisèle,
nacceptaient de resurgir en présence de son père. Dans ce coin
de la mémoire quil remuait péniblement, avec une si grande
insistance, elle apparaissait assise, enveloppée dans un vieux plaid
à carreaux, un coussin derrière la tête, un livre
éternellement ouvert sur ses genoux, les yeux fixés sur la
fenêtre.
Kim
essayait une double exposition, il tentait de superposer ces deux images ou, du
moins, de les rapprocher, de les unir en un collage : lune, transparente,
sur la pellicule rayée de la mémoire, et lautre, encore bien
concrète, celle dun vieillard nerveux, soigné, qui lavait
appelé tôt le matin, pour la première fois de sa vie, et
sétait présenté à lancienne, après une
petite hésitation Chouïski à lappareil
pour linviter à venir bavarder non ! à un entretien
à dix heures du soir Pour réunir ces images, les obliger à
se tenir par les mains, à se toucher des épaules, il fallait
équilibrer la lumière : mieux éclairer la mère
et tamiser le gentleman en tweed. Et même cela naurait rien
donné Pour les rapprocher, une autre force était
nécessaire : le pardon. Et aucun des trois, ou, en tout cas, aucun
des deux ne la possédait.
Et
alors, si je peux me permettre de poser une question, que voulez-vous il buta
sur le vous faire à létranger ? finit par
demander Chouïski père.
Vivre,
dit Kim en tendant la main vers la carafe.
Et
où cela ? Pas à Haifa, quand même ?
Je
nen ai pas la moindre idée. À New York, à Haifa, à
Katmandou Je ne sais pas
Les
langues ?
La
main droite de Chouïski père grimpa sur la petite table
incrustée divoire et palpa des tabatières en argent.
Pardon ?
Connaissez-vous
des langues ? Speak english ?
Oui,
oui, langlais, bien sûr (Kim inclina la carafe.) Et aussi un peu le
français, mais pas très
bien*
La
vodka était faite avec des boutons de cassis macérés qui
tombaient lourdement dans le verre, lun après lautre. Kim remit la
carafe à sa place, la referma de son bouchon à facettes et, avec
un cure-dent pris dans un gobelet en argent, attrapa lun des boutons qui
flottaient dans le verre. Celui-ci avait un agréable goût amer. Il
leva le verre à la hauteur de ses yeux, le fit tourner et, sans porter
de toast, le renversa dans sa gorge
Chouïski
père se leva et se dirigea vers la bibliothèque.
Si
je comprends bien, dit-il sans se retourner, vous navez pas lintention de
changer de profession ?
Il
tourna la clé et, entrouvrant à peine la porte vitrée, en
sortit le lourd album brillant, in folio,
du Miroir rouge. Revenant à
son fauteuil, sous la lumière douce et chaude de la lampe, il prit ses
lunettes et ouvrit lalbum sur ses genoux. Furtivement apparurent le dos large
du Paternel du régiment, sanglé de son baudrier, Petite Étoile, la jument de la caserne, un masque à gaz sur
les naseaux, pendant une alerte nucléaire, la balançoire dune
datcha, sur laquelle était assise, les genoux découverts, une
fillette criblée de taches de rousseur, la place à jamais Rouge
sous la neige tombant à gros flocons, la poitrine dun vacancier,
tatouée dun portrait de Staline, un pauvre hère, un mégot
entre les dents, transportant deux gros sacs remplis de bouteilles vides, le
visage dune jeune femme dans le cadre dune fenêtre de trolleybus,
fouettée par la pluie.
Cest
du travail sérieux, dit Chouïski père en refermant lalbum.
Les trois quarts de cela sont publiables chez nous. Tout de suite. Veux-tu il
passa inopinément au tutoiement travailler pour lagence de presse
Novosti ? Ou pour
Tass ? Cela te procurera les mêmes Paris, New York ou Katmandou,
comme tu dis Mais sans déchirure Sans problèmes Tu pourras
rentrer quand tu voudras. À la maison À Moscou
Quand
jétais gosse, ma mère menfermait souvent dans la chambre, fit
Kim en baissant la tête. Lorsquelle allait à ses rendez-vous
Parfois même, dans le placard. Elle me punissait. Une fois, je my suis
endormi Cela a fait de moi un claustrophobe chronique
Et
la Russie est pour toi un grand placard, une cage acheva son père
à sa place en grimaçant. Ses mains sanimèrent de nouveau,
entrèrent en jeu, se mirent à tambouriner sur la couverture du Miroir.
Quant
au journalisme, engagé ou non, cest-à-dire la photographie Kim
posa son verre sur la petite table dun mouvement prudent , je ne veux pas en
faire un nouveau placard. Peu mimporte ce que je ferai. À
Katmandou ! Un sixième de la surface du globe, cest
déjà pas mal, mais il en reste encore cinq autres
Cest
de la merde, tes cinq sixièmes, dit le vieux Chouïski dune voix
basse mais nette, en se levant.
Ses
lèvres commencèrent à mâcher une phrase, mais il se
ravisa, ouvrit lalbum, le referma avec fracas, sextirpa du fauteuil et marcha
vers la bibliothèque. Il retourna à sa place, voûté
et affaissé, écarta les bras et se frappa les côtes,
toujours sans rien dire.
La
domestique entrouvrit la porte qui donnait sur une salle à manger bien
éclairée par un lustre en cristal et hocha la tête. On
apercevait langle dune table, une nappe à grandes fleurs,
léclat de largenterie, une bouteille de vin, français à
en juger par sa forme, une scène de chasse sur le mur.
Viens
manger, fit le vieux en sortant de deux doigts un comprimé rose de sa
tabatière. Ce nest pas tous les jours
Il ne
finit pas sa phrase et savança vers la porte en traînant les
pieds.
Rita,
entendit Kim, baissez la lumière.
La
salle à manger plongea lentement dans la pénombre.
À
minuit passé, en appelant lascenseur pour Kim, laissant tomber les
cendres dun Monte-Cristo sur le tapis de la cage descalier, il dit :
Ne
fais pas attention à Kolomeïets. Cest une mite. La naphtaline le
fait planer. Il finira par monter la garde devant les ambassades
étrangères
Il fit une pause. Lascenseur montait en
cliquetant à chaque étage.
Si
tu changes davis, fais-le-moi savoir.
La
fumée du cigare rendait floue la partie supérieure de son visage.
Je
suis coupable devant Sonia, dit-il soudain dune voix altérée.
Cest trop tard maintenant. Cétait une autre époque Tu sais
bien de quoi je parle
Kim le dévisagea sans comprendre encore
quil parlait de sa mère. Personne ne lappelait Sonia.
Son
père baissa le menton, aspira bruyamment la fumée, la rejeta.
Lorsquil releva la tête, ses yeux brillaient dun point dinterrogation.
Kim détourna la sienne.
Chouïski
père haussa les épaules et se tourna vers la porte ouverte.
Il
ne faut pas nous haïr, fit-il, le dos tourné.
La
porte claqua, doucement mais fermement.
Il
pleuvait. Des camions passaient bruyamment le long du quai Kotelnitcheski. Au
loin, la lumière verte dun taxi sapprochait. Tout ce quil avait
appris sur son père dans le livre de Gloukhov, par ses conversations
avec des amis bien informés avait lair dune mauvaise, très
mauvaise littérature, dun kitsch affreux. Mais le monde qui lentourait
était également de la mauvaise littérature, du kitsch
monstrueux et invraisemblable. Et son père en était lun des
principaux auteurs invisibles.
Assis
sur la banquette arrière défoncée du taxi, parmi les
vagues dun tango qui déferlaient à travers la brèche
ouverte dans le vieux haut-parleur enroué, les yeux secs posés
sur la ville mouillée, il demanda à haute voix :
Nous
haïr ! Pourquoi nous ?
Cest
à moi que vous parlez ? fit le chauffeur en retournant sa gueule de
bandit.
La
pièce où il habitait était rangée et avait un air
de fête. Il nemportait rien. Ses négatifs se trouvaient depuis
longtemps en Allemagne, et il avait envoyé à ladresse parisienne
de Boris, au tarif le plus économique, la caisse des livres quil avait
le droit demporter [10].
Il ne fit pas de fête dadieu, car il savait dexpérience quelles
tournaient plutôt à la veillée funèbre. Garrik le
binoclard vivait à Boston. Stas, à Londres. Les Salnikov, dans un
kibboutz, quelque part en Israël. Les filles pleines damour de la fac de
lettres et certaines de leurs consœurs moins cultivées qui
faisaient les hétaïres dans le centre de la ville avaient toutes
filé vers des Amsterdam ou des Barcelone. Et même le plus casanier
et paresseux de tous, Genia Holtz, qui nétait jamais allé plus
loin que le dispensaire spécialisé dans les maladies
vénériennes de son quartier, habitait maintenant linimaginable
et ahurissante Rio de Janeiro !
Il
passa toute la nuit dans le fauteuil, près de la fenêtre, les
pieds sur le radiateur, à écouter le bruissement humide des
feuilles du vieux peuplier, à aspirer les odeurs rafraîchies de
lété, en ville, à regarder les fenêtres de
limmeuble den face. Tout était sombre derrière les mêmes
rideaux, mais la fenêtre du vieillard, décédé
à la fin du mois de février, laissait échapper une faible
lumière dans laquelle sinscrivaient parfois des ombres furtives.
Le
vieux coquin, pensait Kim, il a non seulement émigré plus loin
que tous les autres, mais il retourne de temps en temps à sa piaule en
profitant de la faible vigilance de ses anges gardiens.
À
laube, il glissa dans un rêve bref et transparent : dans un
cliquetis sourd de roues, il saccrochait à la portière dun
train de banlieue, sur le marchepied, sentait sur son dos les regards vides des
adultes et avait peur de se retourner, peur de voir parmi eux le vieillard en
tweed, souriant Il devinait la fuite floue et chatoyante des pins, des petites
datchas, des clairières, des flashes de soleil, du do-ré-mi des
palissades et, en se lâchant, il volait encore et encore à la
rencontre du ciel granuleux de lasphalte qui, avec une indifférence
mécanique, en se retournant encore et encore, sefforçait de
labattre, de laplatir, de lécraser
À
trente-deux ans, Kim Chouïski sauta du pont du vaisseau amiral, pilote du
monde moderne. LUnion soviétique, crachant sa fumée noire par
ses cheminées décorées détoiles carmin, sous les
meuglements de ses sirènes, poursuivit sa course vers lavenir lumineux
et aveuglant, inéluctable.
[1] Bielomorkanal, lune des marques de papyrossy les plus
répandues en Union soviétique.
[2]
Citation dune chanson dAlexandre Galitch. Erica était une
marque de machine à écrire.
[3] Allusions aux poèmes Impressionnisme et Quatrième prose dOssip Mandelstam.
[4] Diminutif de
Saint-Pétersbourg utilisé par lintelligentsia frondeuse lorsque
la ville sappelait Leningrad.
[5] Appelées aussi
Chaussettes russes : bandes de tissu dans lesquelles les
soldats senroulent les pieds.
[6] Jeu de mots à partir du
nom de la ville secrète de Tomsk-7, spécialisée dans la
production de plutonium militaire.
[7] Le professeur Snejnevski,
directeur de lInstitut de psychiatrie de Moscou, se rendit
célèbre en inventant la schizophrénie
torpide , maladie mentale se manifestant en dehors de tout symptôme
apparent, ce qui permit dinterner de nombreux dissidents.
[8] Couleur distinctive des troupes
du KGB.
[9] Kim porte le nom dune grande
famille de boyards dont un membre, Basile, se proclama tsar, après Boris
Godounov, pendant le Temps des troubles , au début du xviie siècle.
[10] Il était interdit de
sortir dURSS les éditions anciennes et rares.